Morcellement, disparition d’exploitations familiales, des vignobles menacés d’intégration

« C’est un progrès. Mais dans un vignoble avec un prix du foncier comme le nôtre, cela ne suffit pas » entame Maxime TOUBART vice-président de la CNAOC et président du Syndicat Général des Vignerons (SGV) de Champagne. Désormais, en Champagne un vigneron consacre 27 années de revenu net (de charges et d’impôts) pour couvrir les droits de succession contre 30 années auparavant (calculé selon la valeur moyenne d’un hectare en Champagne en 2016 soit 1 113 000 €). Un progrès de 3 années, c’est ce qui a été obtenu grâce notamment à la mobilisation de la CNAOC dans la loi de finances 2019. Cette dernière a acté l’augmentation du plafond d’exonération à 75 % des droits de mutations de 101 897 € à 300 000 € pour les transmissions par donation, par succession de bien ruraux donnés par bail à long terme et pour les transmissions de parts de Groupement Foncier Agricole (GFA). « C’est un progrès mais il ne faut pas que les décideurs pensent que le problème est résolu pour autant » ajoute Mr TOUBART. « Aujourd’hui, avec les difficultés de transmissions familiales, l’équilibre entier du vignoble de Champagne est menacé ».

Une réalité qui se constate déjà dans les chiffres. Entre 2006 et 2016, le nombre d’exploitations de moins d’un hectare dans le vignoble de Champagne est passé de 8300 à 9000 et celui des exploitations de plus de 5 hectares de 1600 à 1800. En revanche, le nombre d’exploitations moyennes et familiales a chuté de 5200 à 4900 :« le vignoble se morcelle, les maisons de Champagne sont les seuls acteurs capables d’acheter des terres et le nombre de vignerons vendeurs de bouteilles chutent… On assiste bien à une lente intégration du vignoble par le négoce ! » s’inquiète Maxime Toubart.

               Prix du foncier élevé = difficulté de transmission  

« La Champagne n’est pas un cas à part » précise Jean-Marie Garde membre du Conseil d’Administration de la CNAOC, secrétaire général de Fédération des Grands Vins de Bordeaux « Dans tous les vignobles avec des prix du foncier élevé, la transmission des exploitations pose de graves difficultés ». En Gironde où le prix du foncier de certains vignobles d’appellation comme Pauillac, Pomerol, Saint-Julien ou Margaux est particulièrement élevé, le nombre d’exploitations individuelles en viticulture a aussi fortement diminué. Alors que 90% des exploitations viticoles étaient individuelles en 1988 et qu’elles entretenaient 70 % des vignes, en 2013, 55 % des exploitations étaient individuelles pour 28,5 % des surfaces viticoles. « C’est en partie la flambée du prix des terres qui expliquent cette diminution corrélativement au vieillissement de la population agricole » analyse Jean-Marie Garde « C’est un phénomène inquiétant qui menace l’équilibre de certains vignobles et de leur territoire. Dans ces vignobles à forte notoriété, si l’on ne fait rien, il n’y aura bientôt plus d’exploitations familiales. Pourtant, de nombreux clients sont à la recherche d’exploitations à taille humaine ».

En Bourgogne, le phénomène inquiète aussi. Le sujet de la transmission des exploitations était au cœur des dernières Assemblées Générales de la Confédération des Appellations et des Vignerons de Bourgogne (CAVB – membre de la CNAOC) et du Bureau Interprofessionnel des Vins de Bourgogne (BIVB). Enfin, certains vignobles des Côtes-du-Rhône et même de Provence commence à connaître des difficultés de transmission au regard de la montée des prix du foncer notamment en conséquence de la pression qu’exerce l’urbanisation sur les vignobles.  

Et la viticulture n’est pas le seul secteur agricole concerné par cette évolution.Toutes les cultures agricoles situés en périphérie des villes subissent de plein fouet les effets de l’urbanisation des terres agricoles.  « J’ai en tête un exemple d’une exploitation de maraîchage situé en périphérie de Bordeaux. Le père souhaite transmettre à ses filles exploitantes. Mais c’est l’un des derniers terrains encore à bâtir dans ce quartier. La reprise est impossible et la seule solution est la vente avec une perte probable des terres maraîchères » raconte Jean-Marie GARDE.

Pour tenter d’apporter des solutions à ce problème, les deux viticulteurs, co-responsables du groupe de travail fiscalité de la CNAOC proposent d’utiliser le levier fiscal. « C’est la seule solution à court terme. Quand le financement de la transmission est trop lourd, cela grève aussi les capacités d’investissement d’une exploitation et fragilise sa pérennité. Il faut alléger le coût des transmissions pour permettre le maintien des exploitations familiales » affirment-ils à deux voix. Dans le cadre du prochain Projet de Loi de Finances (PLF) 2020, la CNAOC proposera donc aux parlementaires de déplafonner l’exonération à 75 % des droits de mutation. « Quand je vois ce que nous avons obtenu l’année dernière malgré notre forte mobilisation, nous allons devoir redoubler d’efforts si nous voulons être écouté cette année » prévient Maxime TOUBART.