Quelles sont les intentions de Bruxelles ?

Depuis quelques mois, la filière viticole s’inquiète des initiatives de la Commission Européenne pour simplifier la règlementation européenne vitivinicole. Si l’objectif de simplification doit être salué, le doute subsiste concernant les véritables intentions de Bruxelles : simplification de règlementation ou réforme déguisée du secteur vitivinicole ?

Simplification. Depuis sa nomination au poste de Commissaire à l’agriculture le 1er novembre dernier, Phil Hogan n’a que ce mot à la bouche. Simplifier la PAC, c’est l’objectif principal que lui a confié le président de la Commission Jean-Claude Juncker. Un objectif qui ne peut qu’être salué tant les avantages qu’offre la PAC pour les agriculteurs et les viticulteurs sont accompagnés de lourdeurs administratives et de gestion. En décembre 2015, la Commission Européenne publie donc une série de textes avec pour objectif principal de simplifier la règlementation. Mais dès la publication du projet le doute s’est installé à propos des vraies intentions de Bruxelles.

                Une vraie simplification ou une réforme du secteur vitivinicole déguisée ?

«  Dès le départ, la Commission n’a publié qu’une partie des textes de son projet de réforme » explique Pascal Bobillier-Monnot, directeur de la CNAOC en 1ère ligne sur ce dossier. « Impossible d’avoir un aperçu complet des intentions de la Commission. Cela n’a pas mis la filière en confiance ». Autres sources de défiance : plusieurs dispositions essentielles de la règlementation vitivinicole actuelle sont « oubliées » dans les nouveaux textes proposés par la Commission. L’interdiction pour les Vins Sans Indication Géographique (VSIG) de faire référence à une unité géographique plus petite que l’Etat membre a disparu tout comme l’encadrement de l’utilisation des mentions traditionnelles. Le projet remet également en cause la possibilité « d’étiquetage temporaire ». Actuellement, les modifications des cahiers des charges entrent en vigueur dès la publication des textes au niveau national. La Commission souhaiterait qu’à l’avenir ces modifications ne puissent pas s’appliquer tant qu’elles ne sont pas homologuées par ses services. Le directeur de la CNAOC s’inquiète « Les cahiers des charges ont besoin d’évolution régulière pour s’adapter à des circonstances nouvelles ou  réglementer l’usage d’avancées technologiques. Les phases d’études préalables au niveau national sont déjà très longues. A quoi sert donc de rallonger ces procédures en attendant une décision formelle de la Commission européenne ? La plupart du temps, il s’agit simplement de modifier une pratique culturale ou une pratique œnologique ! » Enfin, dernier aspect problématique du projet de Bruxelles : l’éclatement de la règlementation concernant les IG, étiquetages et mentions traditionnelles dans plusieurs textes.  « A terme, cela pourrait signifier la fin de la spécificité du droit vitivinicole » alerte Mr Bobillier-Monnot. Tous ces « oublis » font douter la filière viticole, la fédération européenne des vins d’origine EFOW et la CNAOC en tête sur les véritables intentions de la Commission. Tente-t-elle de réformer le secteur à travers l’objectif affiché de simplification de la règlementation ?

                La filière et les élus mobilisés

Devant tous ces risques, la filière n’est pas restée les bras croisés. Au niveau européen, EFOW a fait état de ses désaccords auprès du cabinet du Commissaire à l’Agriculture Phil Hogan et a saisi le Parlement Européen. Au niveau national, la CNAOC a sensibilisé le Ministère de l’agriculture et les parlementaires sur ce dossier. Les élus n’ont pas hésité une seconde à suivre la filière. Marie-Hélène FABRE, Roland COURTEAU et Gérard CESAR, respectivement députée et sénateur de l’Aude et sénateur de Gironde ont déposé deux projets de résolution européenne sur le sujet à l’Assemblée et au Sénat. Cette mobilisation a poussé le commissaire à l’agriculture Phil Hogan à venir s’exprimer devant l’intergroupe vin du Parlement Européen le 8 mars dernier. Il s’est engagé à retirer une partie des textes de la discussion. Cependant, les services de la Commission ont poursuivi le travail, convoqué une nouvelle réunion de travail et ainsi entretenu le flou sur leurs réelles intentions. Pas dupes, EFOW et la CNAOC ont maintenu la pression malgré les engagements du Commissaire pour éviter les mauvaises surprises. Sensible à la pression des producteurs français et européens, le ministère de l’agriculture a lancé une plate-forme politique européenne pour mobiliser ses collègues des autres Etats Membres face à la Commission. 17 pays* en sont déjà signataires. Ils demandent notamment le regroupement de l’ensemble de la législation viticole dans un seul texte et une visibilité parfaite quant au calendrier et aux objectifs poursuivis. Ils plaident aussi en faveur du maintien des spécificités du secteur vitivinicole et en particulier des règles d’étiquetage en lien avec la politique de qualité. Reste désormais à savoir si la Commission sera sensible à la pression de l’ensemble du secteur et si elle va revoir sa méthode et ses propositions. Réponse à l’automne.

* Autriche, Chypre, Allemagne, Grèce, Espagne, France, Hongrie, Italie, Luxembourg, Malte, Portugal, Slovénie, Slovaquie, Tchéquie, Bulgarie, Roumanie, Croatie