Le vin français continue son développement à l’international. En 20 ans, la vente de vins français sous Appellation d’Origine Contrôlée (AOC) à l’étranger a augmenté de 134 % (source : France AgriMer). De plus en plus de producteurs exportent vers de nouveaux eldorados comme la Chine, devenue depuis 2012 la première destination d’exportation pour les vins de Bordeaux en seulement une dizaine d’années. Mais l’engouement pour le vin français à l’international a un revers : le développement de pratiques frauduleuses vis-à-vis des appellations. Tour d’horizon des mesures de protection prise par l’Institut National de l’Origine et de la Qualité (INAO), en pointe dans ce domaine.

Un producteur turc peut-il appeler son vin « Bojolé » ? Non, car si l’orthographe diffère de l’appellation du Rhône, la prononciation est la même. « C’est un cas d’usurpation d’appellation à travers un nom dérivé. Avec l’Union Interprofessionnelle des Vins du Beaujolais (UIVB) et notre partenaire juridique sur place, nous avons réussi à convaincre l’Institut turc des brevets de rejeter l’enregistrement de la marque » explique Arnaud Faugas, responsable des zones Europe et Amérique du Nord au service juridique et international de l’INAO, service dirigée par Véronique Fouks. «C’est en Asie que l’on trouve le plus de dossiers en cours, notamment en Chine que nous surveillons plus particulièrement. Mais l’Europe et l’Amérique ne sont pas épargnées » poursuit-il. Grâce à la mobilisation de la CNAOC, les actions de l’Institut à l’international vont pouvoir être encore renforcées puisque son budget international a été doublé à partir de 2013.

Il existe trois types d’atteintes : l’usurpation d’appellation pour des produits similaires, le détournement de notoriété de l’appellation pour des produits différents et la transformation d’une appellation en générique. L’usurpation d’appellation est une pratique frauduleuse grave mais pour laquelle il existe souvent des moyens d’actions. «L’atteinte peut prendre plusieurs formes : l’usurpation à l’identique de l’appellation – par exemple l’utilisation de l’appellation «Languedoc» en Chine –  l’usurpation de l’appellation en traduction –  au Portugal, des producteurs ont tenté de déposer l’appellation « Bordão» l’année dernière – et l’utilisation de noms dérivés semblables à l’appellation comme dans le cas turc», explique A. Faugas.

Pour les détournements de notoriété  trois cas sont généralement constatés : le dépôt d’une marque avec le nom exact de l’appellation – «nous avons eu la marque « Royal Bordeaux » pour des draps aux Etats-Unis»  – la traduction d’une appellation – «  le cas de la marque « Borgonia » en Argentine pour des services publicitaires» et l’évocation d’une appellation dans le nom d’une marque – «récemment, avec le Conseil Interprofessionnel des Vins de Champagne (CIVC), nous avons réussi à interdire un dessert « Perles de Champagner » en Allemagne ».

Si une action concertée entre l’INAO, l’Organisme de Défense et de Gestion (ODG) de l’appellation (ou l’interprofession) et l’autorité en charge de la propriété intellectuelle dans le pays concerné permet de mettre un terme à l’usurpation, la situation est plus complexe lors d’un détournement de notoriété pour des produits différents.  « L’atteinte est plus indirecte et demande une analyse de la situation au cas par cas. »

Enfin, dans quelques pays, certaines appellations sont considérées comme des noms génériques ou semi-génériques, c’est-à-dire qu’ils correspondent à des types de produits dans les pays en cause. Ainsi, aux Etats-Unis, les producteurs de vin peuvent utiliser les noms «Champagne» ou «Chablis» accompagnés d’un délocalisant (ex : « Californian Champagne ») pour leur vin. Dans ce cas, la reconnaissance des IG dans des accords de libre-échange est le seul moyen efficace de protection. Elle sera l’un des enjeux des négociations entre les Etats-Unis et l’Union Européenne (UE) pour la mise en place d’une zone de libre échange et pour laquelle la CNAOC se mobilise. En revanche, au sein de l’UE, les Indications Géographiques (IG) sont protégées par la règlementation communautaire, ce qui simplifie les actions menées face aux abus d’utilisation. Certains ODG ou interprofessions s’investissent aussi directement auprès de gouvernements étrangers pour négocier la protection de leur appellation. C’est le cas du CIVC, qui a réussi en mai 2013 à faire reconnaître l’appellation Champagne en Chine.

Pour une protection efficace des IG à l’international, il est primordial d’avoir un bon accès à l’information. «L’INAO fait appel à un cabinet privé spécialisé pour surveiller les dépôts de marques pour l’ensemble des AOC. Nous nous appuyons également sur le réseau diplomatique français et sur une quarantaine de cabinets d’avocats à travers le monde. Enfin, la remontée d’informations est vraiment indispensable pour une bonne protection : les producteurs profitent de leur  déplacement à l’étranger pour repérer des abus et nous les signaler» souligne Arnaud Faugas.

Dernière mission de l’Institut : sensibiliser les administrations étrangères à la protection des IG. « Nous recevons régulièrement des délégations étrangères, que ce soit des professionnels, des fonctionnaires ou des étudiants. » L’institut propose également un appui juridique, technique ou des formations d’agents aux pays qui en font la demande.