Depuis plusieurs mois, le secteur viticole se mobilise pour obtenir la protection des Indications Géographiques (IG) sur Internet lors de l’ouverture des nouveaux noms de domaine « .vin » et « .wine ». Quels sont les enjeux pour les appellations d’origine ? Pourquoi l’ICANN persiste à vouloir vendre les « .vin » et « .wine» sans protéger les IG ? Ce dossier nécessite quelques éclairages. 6 questions-réponses pour bien comprendre les tenants et les aboutissants.
Comment fonctionne l’ICANN ?
L’Internet Corporation for Assigned Names and Numbers (ICANN) est une société de droit californien qui gère au niveau mondial l’ensemble des noms de domaine sur Internet. Elle a été créée en 1999 par le département du commerce des Etats-Unis. C’est le conseil d’administration de la société (16 personnes) qui vote les décisions majeures. Au sein de l’ICANN, quatre comités consultatifs émettent des avis non contraignants pour le conseil d’administration. Parmi ces comités, l’un représente les gouvernements : le GAC.
Qu’est-ce qu’un nom de domaine et pourquoi ouvrir le « .vin » et « .wine » ?
Un nom de domaine désigne un identifiant de domaine internet. Le système de classement des noms de domaine est hiérarchique. Il existe des noms de domaines de premier niveau nationaux identifiant un pays (« .fr », « .be »…) et des noms de domaine de premier niveau génériques désignant généralement un secteur d’activité (« .com » pour commerce, «.org » pour organisation à but non commercial…). Viennent ensuite les noms de domaine de second niveau, qui sont les noms d’adresses internet qui s’ajoutent avant les noms de domaine de premier niveau (ex : « paris.fr »). Constatant la saturation des noms de domaine existants, l’ICANN a décidé d’ouvrir des nouveaux noms de domaine de premier niveau. Elle a lancé un appel à candidature, auquel ont répondu des sociétés dont l’activité sera tournée vers la vente de noms de domaine. Plus de 2000 nouveaux noms ont été proposés comme «.blog» ou «.mail ». Parmi ces propositions, 4 dossiers liés au secteur du vin ont été déposés. Trois sociétés sont en concurrence pour exploiter le « .wine » et une pour le « .vin ».
Pourquoi l’ouverture du « .vin » et du « .wine » pose problème ?
Ces nouveaux noms de domaine peuvent être source de développement économique pour le secteur vitivinicole, dont une partie du chiffre d’affaires est réalisée via Internet, tendance qui devrait s’accroître à l’avenir. Problème : les trois sociétés candidates à l’exploitation du « .vin » et « .wine » ont indiqué qu’elles vendraient les noms de domaine de second niveau aux enchères, sans se soucier de la protection des IG. Par conséquent, n’importe quelle entreprise ou individu pourra acheter un nom de second niveau correspondant à une appellation, par exemple « beaujolais.wine », et proposer à la vente des produits qui n’ont rien à voir avec l’appellation en question, voir avec du vin. Les risques concernent au premier chef les consommateurs (tromperies sur la marchandise), mais aussi les producteurs (risques de détournement de notoriété des appellations d’origine, voire même de cybersquatting). Certains noms de domaine pourraient même être achetés à des fins spéculatives.
Quelles sont les positions défendues par les gouvernements ?
Sur ce sujet, la communauté internationale est divisée en deux camps et s’opposent au sein du GAC. D’un coté, l’Union Européenne, les Etats Africains francophones et les Etats d’Amérique Latine, qui s’opposent à la délégation tant que la protection des IG n’est pas assurée et défendent un internet régulé. De l’autre 3 pays – les Etats-Unis, la Nouvelle-Zélande et l’Australie – qui soutiennent une délégation sans condition des deux extensions au nom d’un soi-disant internet libre. Lors de la dernière session de l’ICANN à Londres au mois de juin, la France s’est vivement opposée à la délégation du « .vin » et du « .wine » en l’absence de protection des IG et a vigoureusement critiqué le fonctionnement opaque de la société californienne. Elle a même conditionné sa participation à la réforme de l’ICANN à la non délégation du « .vin » et du « .wine ». Les Etats européens (et la Suisse), qui ont rejoint les positions françaises concernant les extensions viticoles, n’ont cependant pas souhaité aller aussi loin sur leur participation à l’ICANN. Finalement, aucun consensus n’a pu être trouvé au sein du GAC et l’ICANN a décidé de poursuivre le processus de délégation malgré l’absence de protection des IG.
Quelles solutions reste-il pour empêcher la délégation ?
Plusieurs options sont envisageables pour suspendre le « .vin » et le « .wine ». Après la session de Londres, le secteur viticole et la Commission Européenne ont chacun entamé un recours amiable auprès de l’ICANN. Toujours en cours, cette procédure suspend le processus de délégation dans l’attente des conclusions des discussions (quelques semaines). Dans le cas d’un échec du recours amiable, il sera toujours possible d’entamer une procédure contentieuse : « l’Independant Review ». Cette procédure consiste en une plainte contre l’ICANN pour atteinte à l’intérêt public. Elle permettrait de suspendre le processus de délégation pendant au moins 6 mois. Enfin, la dernière solution serait d’obtenir un consensus au sein du GAC. Alors que cette option était encore inenvisageable il y a quelques semaines, la mobilisation des viticulteurs américains contre une délégation sans protection des IG pourrait inverser les rapports de force. Plus de 2000 wineries sont mobilisées aux cotés des viticulteurs européens et plusieurs membres du congrès américain sont intervenus auprès du gouvernement américain. Un argument de poids en vue de la prochaine session de l’ICANN à Los Angeles du 12 au 16 octobre prochain
Pourquoi le dossier du « .vin » et du « .wine » dépasse la sphère viticole ?
L’ampleur prise par le dossier du .vin » et du « .wine » soulève de nouvelles interrogations. Le débat a débordé de la simple sphère viticole pour rejoindre celui de la gouvernance de l’internet et des règles qui s’appliquent sur la toile. La France et l’Union Européenne ont dénoncé à de nombreuses reprises l’opacité qui pèse sur le fonctionnement de l’ICANN, qui reste sous forte influence du gouvernement américain. La question de la protection des IG sur internet se pose également pour d’autres nouvelles extensions génériques comme le « .food » ou le « .coffe » et se posera sans doute à nouveau si l’ICANN lance en 2016 un deuxième cycle de création de noms de domaine. Enfin, les discussions parfois tendues sur ce dossier ont mis l’enjeu de la protection des IG au cœur des négociations entre l’Union Européenne et les Etats-Unis pour la mise en place d’une zone de libre échange.
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