Mobilisée aux cotés des vignerons pour défendre la protection des Indications Géographiques (IG) sur internet dans le cadre de l’ouverture des noms de domaine « .vin » et « .wine », Axelle Lemaire, secrétaire d’Etat chargée du numérique est intervenue le 24 novembre dernier à l’Assemblée Générale de la CNAOC. Dans une interview accordée à la CNAOC, elle revient sur les dossiers en cours : « .vin » et « .wine », nouveau cycle d’ouverture de noms de domaine et développement numérique de la viticulture.
Le lancement officiel des nouvelles extensions « .vin » et « .wine » aura lieu le 27 janvier prochain. Vous vous êtes fortement mobilisée sur ce dossier aux cotés des viticulteurs. Pourriez-vous revenir sur les étapes importantes de la mobilisation ? Avec quelles organisations avez-vous travaillé pour renverser la décision de l’ICANN ?
La reconnaissance par l’ICANN des indications géographiques dans l’attribution des extensions « .vin » et « .wine » est le fruit d’une intense mobilisation internationale, à laquelle l’Union Européenne et la France ont pris une part déterminante.
Début avril 2014, la Commission européenne, la France associée à plusieurs pays du GAC, qui représente les gouvernements des pays au sein de l’ICANN, et plusieurs organisations représentatives de la filière viticole ont fortement critiqué la décision de cette structure d’attribuer ces extensions sans aucun respect des indications géographiques. Cette mobilisation internationale, à laquelle j’ai pris une part active dès mon arrivée au gouvernement, a conduit l’ICANN à repousser une première fois l’attribution de ces noms de domaine.
Lors d’une réunion de l’ICANN à Londres du 22 au 26 juin 2014, j’ai personnellement demandé la suspension de l’attribution de ces adresses tant qu’aucune garantie ne serait apportée sur le respect des origines géographiques de nos vignobles. J’ai par ailleurs annoncé que la France serait contrainte de quitter la table des négociations sur la réforme de l ’ICANN si les extensions « .vin » et « .wine » étaient attribuées sans garantie du respect des origines géographiques de nos vignobles.
La France a notamment lié ce dossier aux négociations en cours sur le traité de libre-échange avec les Etats-Unis. Il nous apparaissait déplacé que l’ICANN, instance technique de l’internet, demeure seule à décider sur des enjeux commerciaux majeurs, ce qui lui donne un rôle politique ambigu et peu transparent. Associés aux autres pays européens producteurs de vin, et aux représentants des filières viticoles, nous avons fait pression pour que l’UE s’engage à appliquer la législation européenne contre toute usurpation ou imitation en ligne des indications géographiques protégées.
A la suite de la réunion de Londres, l’ICANN a pris le temps de la concertation et nous a rassurés sur son souhait de trouver une solution acceptable par tous. Après le désistement de deux des trois candidats aux extensions .vin et .wine, les représentants des viticulteurs, au premier rang desquels figurait la CNAOC, sont entrés en phase de négociation avec l’ICANN et Donuts pour formaliser un accord.
Cet accord a été trouvé mi-2015 et a permis l’engagement d’une procédure d’ouverture des extensions qui tient compte des intérêts des professionnels.
L’ICANN prévoit d’ores et déjà de lancer un nouveau round d’ouverture de noms de domaine. La protection des indications géographiques n’est pour l’instant toujours pas prise en compte. Quelle est la stratégie du gouvernement français et plus largement de l’Europe pour faire évoluer les règles d’ici là ?
Nous avons gagné une première bataille autour des extensions « .vin » et « .wine », mais le combat mené par la France pour une réforme de l’ICANN, notamment dans le sens d’une prise en compte globale des appellations d’origine, est loin d’être terminé.
Ce qu’on a vu avec le .vin/.wine, c’est que les règles de l’ICANN ne prennent pas assez bien en compte les intérêts des autres professions. L’ICANN est une organisation qui gère les ressources de l’internet : ces ressources sont utilisées par tous les secteurs économiques mais leur gouvernance est contrôlée par un petit nombre de professionnels de l’internet. De plus, la gouvernance de cette organisation a beaucoup de progrès à faire pour gagner la confiance de l’ensemble des acteurs économiques.
Je serai très vigilante sur l’ouverture de nouveaux noms de domaines : avant de lancer un nouveau cycle, un bilan partagé et approfondi devra être mené sur la première vague d’ouverture. J’ai moi-même confié une mission au Conseil général de l’Economie pour définir une stratégie coordonnée des pouvoirs publics et des entreprises français en vue de cette deuxième phase.
Quelles sont vos propositions dans le cadre de la réforme de la gouvernance de l’ICANN ? Notamment pour faire en sorte que la voix des gouvernements soit mieux entendue et que l’organisation soit plus indépendante ?
L’ICANN est aujourd’hui une organisation basée en Californie, sous tutelle de fait des Etats-Unis, qui contrôle l’attribution des noms de domaine sur internet pour le monde entier. Cette situation n’est pas saine, peut induire des conflits d’intérêt, des distorsions de concurrence.
C’est pourquoi, la France réclame depuis plusieurs années, avec l’Union Européenne et de nombreux autres pays réunis au sein du GAC, que l’ICANN devienne une institution plus indépendante, avec une gouvernance gérée de manière multilatérale par la communauté mondiale des acteurs du net mais également des utilisateurs.
Barack Obama avait annoncé en mars 2014 la fin de la tutelle américaine pour septembre 2015 et nous sommes aujourd’hui très mobilisés pour que la réforme en cours de l’ICANN aboutisse, tout en préservant nos objectifs : si le gouvernement américain respecte sa promesse de retirer la tutelle qu’il exerce sur l’ICANN, ce sera un progrès significatif pour une gouvernance d’internet plus partagée.
Au-delà, il faut préserver la voix des gouvernements, au sein d’un modèle multi-acteurs qui est au fondement de la gouvernance d’internet. Ce modèle devra nécessairement se renouveler pour inclure les acteurs d’autres secteurs économiques que l’internet, et d’autres continents que l’Amérique du Nord.
Le numérique fait partie intégrante de l’économie. Au-delà de la défense des noms est posée la question du développement du secteur au travers d’Internet. Quelles seraient vos conseils au secteur viticole ?
Etre offensifs ! On l’a vu avec l’essor de géants du net comme Facebook, Amazon, Google etc. : dans l’économie numérique les premiers entrants, ceux qui qui parviennent à croitre rapidement pour dominer un marché globalisé, deviennent des acteurs incontournables, voire uniques dans leur domaine d’activité, selon le principe du Winner takes all !
Or, contrairement aux préjugés, l’agriculture et le numérique font très bon ménage : les deux tiers des agriculteurs, qui sont aussi et surtout des entrepreneurs, utilisent internet quotidiennement pour leur travail, et notamment pour consulter les services de météorologie et les cours de bourse. Les agriculteurs sont aussi accros aux réseaux sociaux que les autres catégories professionnelles.
Et l’innovation affecte l’ensemble des domaines et métiers agricoles, comme l’a montré le rapport « agriculture et innovation 2025 » qui m’a été remis récemment avec Stéphane le Foll et Thierry Mandon. La France a tous les atouts pour faire entrer l’agriculture dans la modernité, en termes de compétitivité bien sûr mais aussi de respect pour l’environnement.
En ce qui concerne la distribution de nos produits viticoles, l’enjeu est donc de se mettre rapidement à l’échelle d’un marché globalisé. Les acteurs doivent pouvoir se regrouper, afin de pouvoir investir massivement pour devenir rapidement des leaders mondiaux. Pourquoi la première marketplace viticole du monde ne serait-elle pas Française demain ? Nos vignobles ont une réputation internationale, ce sont des produits à haut potentiel dans une économie globalisée.
Au-delà de la distribution, il faut mobiliser l’ensemble de nos jeunes pousses de la French Tech pour qu’elles puissent, via leurs objets connectés et leurs réseaux de capteurs, collecter, transmettre et analyser de plus en plus de données très précises sur nos cultures viticoles. Cet enjeu des données est pour moi majeur : il est essentiel pour l’avenir de notre viticulture (et plus globalement pour l’avenir agricole de notre pays) de faire en sorte que les agriculteurs restent maitres de leurs données, et le Gouvernement appuiera les initiatives allant en ce sens.
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